Filature d'Ourscamp, foyer Breton, partie 2
Ourscamp fut de 1823 à 1923 le siège d’une grande filature de velours en Picardie.
Dès 1885, les recruteurs de cette filature étaient confrontés à une grave pénurie de main d’œuvre ouvrière. A la demande de la direction ils portèrent leurs efforts sur deux départements Bretons, les Côtes d’Armor et le Finistère. Les Bretons affluèrent en masse.
En 1903, après une longue et dure grève qui provoqua le départ de nombreuses familles ouvrières la pénurie s’accentua plus encore. Les recruteurs réussirent à convaincre 135 personnes de quitter Plomodiern pour Ourscamp.
Petit-fils de Yves Queffelec né à Ourscamp, je présente ici leur histoire.
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Lors de la Révolution Française la vente des biens de l’Eglise permit aux industriels en quête de locaux d’installer rapidement et au moindre coût les machines et les hommes.
C’est le cas de l’abbaye cistercienne d’Ourscamp, située près de la rivière d’Oise voie fluviale indispensable à l’approvisionnement de matières premières (eau, bois, charbon, coton).
En 1831 un canal latéral à la rivière d’Oise est mis en service.
En 1849 une ligne de chemins de fer est inaugurée.
L’abbaye était en outre dotée de vastes bâtiments à plusieurs étages, lieux de travail, de prière, de soins, et d’usage commun réfectoires et dortoirs.
De 1831 à 1896 la population de Chiry-Ourscamp passa de 281 à 2049 habitants.
La filature connaitra une progression fulgurante et sera un terrain d’expérimentation sociale de type « paternaliste » avec la création de logements (cités ouvrières), asile (crèche), établissement d’instruction primaire et religieuse, pharmacie, médecin, Economat pour les achats de biens courants.
La filature est cependant un monde fermé. Les Préfets alertent régulièrement sur les conditions de vie des ouvriers et de leurs enfants : la fatigue, l’hygiène, l’éducation, la santé (poussières de coton dans les poumons), la sécurité au poste de travail.
La population ouvrière connaitra les crises sociales profondes qui ont secoué le monde industriel à ses débuts: lois pour diminuer le temps de travail des enfants, réductions de salaires, augmentation des cadences, les rapports de force et conflits sociaux, la concurrence déloyale entre les industriels européens, la cherté fluctuante du prix de la vie….
Le recrutement local d’ouvriers s’avère rapidement problématique, il faudra alors organiser des recrutements en masse au-delà de la Picardie, dans des pays où la main d’œuvre est encore sous-employée et d’accès aisé: la Belgique, le Luxembourg.
En 1886 la population étrangère est presque le double de la population d’origine française (888 étrangers pour un total de 1389 habitants à Ourscamp).
La direction décide alors de se tourner vers la Bretagne et envoie des recruteurs en Côtes d’Armor et Finistère.
Les Bretons arrivent en masse avec leur langue et coutumes. On chante et danse Breton, pour les grands jours on revêt le costume Breton, on se marie entre Bretons au son du biniou.
Ourscamp les jours de fête devient une sorte de lieu magique, irréel…
Cent ans plus tard Marthe Caillaud se rappelait encore « les chants et les airs Bretons, les veillées et les légendes Bretonnes, mais aussi les travaux d’aiguilles de mains Bretonnes si habiles ».
En 1896 la population étrangère est inférieure à la population d’origine française (684 étrangers pour 1428 habitants à Ourscamp).
La population ouvrière ne pouvait guère épargner, leurs salaires partaient aussitôt à l’Economat, la crèche, le loyer d’habitation et de jardin, l’école, le bistrot…
En 1902, une grande grève pour dénoncer les conditions de travail paralysa l’entreprise. Cette grève fut mal gérée. Le propriétaire Frédéric MORITZ est inflexible et ne fait aucune concession. Les ouvriers frustrés partent pour un ailleurs plus humain.
Et les Bretons continuent d’arriver
En juin 1903, pour compenser ces départs, les recruteurs de la Compagnie MORITZ convainquent 135 personnes de quitter Plomodiern pour Ourscamp.
Ces nouvelles recrues voyagent par le train. Les frais sont avancés par le recruteur mais seront remboursés sur les premiers salaires.
En 1911 la population étrangère s’est encore réduite (243 étrangers pour 957 habitants à Ourscamp).
Les mariages se multiplient mais ne sont plus endogames, les Bretons s’allient aux Picards, Belges et Luxembourgeois.
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Mes arrières grands-parents René Queffelec (forgeron) et Marie-Jeanne Vigouroux quittèrent Plomodiern en 1903 avec leurs deux filles Marie-Anne et Jeanne-Yvonne.
Les forgerons travaillaient à la pièce, les revenus étaient irréguliers et parfois même en nature. Ces familles recherchaient donc par le salariat industriel à améliorer leurs revenus ou à tout le moins la garantie de revenus plus réguliers.
De plus les industriels assuraient l’embauche de leur épouse et même de leurs enfants de plus de huit ans.
Le départ drainait les amis et la parentèle proches. Dans leur cas suivirent des Cloarec, Marc’hadour, Vigouroux, Oxis, Cariou… originaires du Porzay, Briec et Pleyben.
René Queffelec et Marie-Jeanne Vigouroux eurent deux autres enfants à Ourscamp, Guillaume Queffelec né en 1906 et mon grand-père Yves Queffelec né en 1911.
En mai 1914 les Queffelec, Marc’hadour et Vigouroux quittent Ourcamp pour travailler la toile de jute à l’Etoile, une des filatures des Frères Saint de la vallée de la Nièvre à l’ouest d’Amiens département de la Somme.
Certains membres de la famille quitteront Ourscamp pour des usines métallurgiques de la banlieue-nord parisienne (Cloarec, Queffelec, Oxis, Cariou).
D’autres pour les mines de charbon du Pas-de-Calais (Vigouroux, Marc’hadour).
L’intégration est en marche, les parentèles se dispersent.
Au cours de la Grande Guerre, la filature d’Ourscamp est anéantie, très peu des familles ouvrières reviendront.
Le départ des Bretons pour l’Oise ne se limite pas à Ourscamp.
L’abbé Elie GAUTIER précise que vers 1885/1895 les familles des pays de Lannion et Treguier partirent dans les filatures de Balagny et Ourscamp, dans les fabriques de boutons et de brosses de Méru et Voisinlieu près de Beauvais.
En souvenir de cet exode de masse depuis Plomodiern, une statue de Saint Mahouarn, patron de cette paroisse, sera dressée sur le site de « La Vallée des Saints » à Carnoët. Cette statue sera sculptée en juillet/septembre 2018 et inaugurée en août 2019.
Iconographie :
1912 mariage glazick à Ourscamp
1935 René Queffelec et Marie Jeanne Vigouroux à l'Etoile 80 (mariés à Plomodiern en 1900), rue des Moulins-Bleus à l’Etoile (Somme)
1911 Communion de Marie Anne Queffelec à Ourscamp, avec sa sœur Jeanne-Yvonne Queffelec (filles de René Queffelec nées en 1900 et 1902 à Plomodiern)
1951 Yves Queffelec mécanicien à St Léger-lès-Domart 80, filature Frères-Saint (fils de René Queffelec né en 1911 à Ourscamp)
Sources :
Abbé Elie GAUTIER, l’émigration bretonne, leurs conditions de vie, juillet 1953
Abbé Jacques THOMAS, monographie de Plomodiern en Porzay, octobre 1966
Marthe CAILLAUD, la filature d’Ourscamp et l’histoire de ses ouvriers, juin 1994
Jean-Yves BONNARD, la manufacture de velours d’Ourscamp, juin 2006
Yves QUEFFELEC, « Ourscamp foyer Breton » in blog « queffelec a-drak » septembre 2013
Plomodiern. Une émigration méconnue, publié le 03 janvier 2018, Le Télégramme
Jeanne et Marie-Anne Queffelec, à Ourscamp, en 1912. (Archives Yves Queffelec)
La commune de Plomodiern a subi une émigration massive, il y a une centaine d'années, principalement pour des raisons économiques. Yves Queffelec effectue des recherches sur ce pan méconnu de l'histoire de Plomodiern.
Yves Queffelec est un passionné. Un féru d'histoire, adhérent du Cercle généalogique du Finistère. Il a écrit plus de 400 articles sur le nom de famille « Queffelec » et, parmi ceux-là, sur sa famille. Cette passion l'a poussé, il y a une dizaine d'années, à entreprendre des recherches sur la ville de Plomodiern et un sujet que peu d'habitants connaissent. « Tout part de recherches personnelles, il n'existait quasiment rien là-dessus », raconte-t-il. Cette histoire, elle est réelle et perdue dans l'histoire des familles finistériennes. Yves Queffelec a voulu la dépoussiérer et raconter l'émigration massive que Plomodiern a connue, au tout début du XXe siècle. Une émigration à caractère économique.
135 familles concernées
« Pour combler le manque de main-d'oeuvre à Ourscamp, en Picardie, 135 familles, issues de Plomodiern dans la grande majorité, ont été emmenées en Picardie », explique Yves Queffelec. Certaines personnes venaient aussi de Douarnenez et de Pleyben : « C'était une parentèle élargie », ajoute-t-il. Ourscamp était le siège d'une grande filature de velours, à l'époque.
C'est à la demande de la direction que les recruteurs portèrent leurs efforts sur deux départements bretons qu'étaient les Côtes-du-Nord (qui sont ensuite devenues les Côtes-d'Armor) et le Finistère. Pour retrouver le fil de cette histoire, Yves Queffelec a notamment dû rencontrer une historienne.
Danse et chant bretons dans les rues picardes
Son grand-père, né à Ourscamp, n'a pas su lui raconter : « Mon grand-père n'avait pas conscience que c'était un phénomène d'émigration de masse ». À Ourscamp, Yves Queffelec raconte que la danse et le chant breton résonnaient dans les rues picardes. La plupart des émigrés n'étaient « pas fiers », ils ressentaient même un « sentiment de honte », selon Yves Queffelec, de quitter le pays breton. Mais, comme il l'explique : « Mon arrière-grand-père était forgeron, il travaillait à la pièce, les revenus étaient irréguliers. Ces familles recherchaient, par le salariat industriel, à avoir une source de revenus plus réguliers ». En 1914, les Queffelec et d'autres familles bretonnes quittèrent la filature d'Ourscamp et se dispersèrent. « L'intégration est en marche », conclut Yves Queffelec, sans cesse à la recherche de nouveaux documents pour alimenter ses travaux.
Contact Tél. 06.28.39.77.88 ; courriel, yves.lequeffelec@cegetel.net